On dit que parfois une image vaut mille mots.
Prenons donc une image :

À gauche, une photo prise avec un Canon numérique, sur trépied, objectif EF 28-90mm f/4-5.6 II, à 400iso, ouverture et vitesse réglées manuellement en fonction d’une mesure spot, enregistrée directement en noir et blanc, en JPG, et n’ayant subi aucune modification ni retouche.
À droite, une photo prise avec un Canon argentique. Prise de vue identique en tous points. L’appareil a remplacé l’autre sur le trépied, l’objectif est également passé d’un appareil à un autre, l’ouverture et la vitesse ont été réglé de manière parfaitement identique. L’appareil était chargé avec de la Kodak Tri-X 400, donc la sensibilité est également identique. Quant au scan du négatif, il a été réalisé avec SilverFast 8 avec pour seul réglage le choix sur NegaFix de la pellicule idoine.
Je vous laisse apprécier les différences entre ces deux clichés…
J’aimerais préciser une chose : je n’ai absolument rien contre le numérique !
Je l’ai même pratiqué plusieurs années, il m’arrive encore d’en faire de temps en temps, et je pense sincèrement qu’il y a largement assez de place pour les deux supports dans le monde de la photographie.
Ceci étant dit, c’est aussi là qu’il y a, pour moi, une sorte de contradiction, un problème de terminologie plus que de matériel, une simple histoire de vocabulaire…En effet, quand je vois le post-traitement de la majorité des photos numériques, ce n’est plus de la photographie, c’est de l’infographie…
Oh bien sur, en argentique aussi on peut ‘tricher’, s’arranger, améliorer l’image, s’amuser un peu au développement, et surtout soigner ses tirages à l’agrandisseur…Mais on ne s’appelle pas tous Pablo Inirio, loin de là, alors que n’importe qui peut s’en sortir sur Lightroom ou Photoshop, surtout avec internet et le nombre impressionnant de tutos qu’on y trouve…
Et les scans des négatifs alors ? Oui, on pourrait allègrement les passer en post-traitement numérique avec ces même logiciels, mais imaginez la tête du client qui demande un tirage à l’agrandisseur et se retrouve avec une photo qui n’a rien à voir avec le scan numérique ? Dans l’immense majorité des cas, on se contente donc du minimum syndical (surtout de l’élimination des poussières).
Les pro-numériques s’en tirent souvent grâce à une pirouette : la ‘zone grise’ des fichiers RAW. Nécessitant un ‘développement’ numérique, accepté par la totalité des agences de presse, mais qui permet quand même de transformer, numériquement, à grand renfort de réglages et de retouches, une photo atrocement banale, voire ratée, en photo digne d’être publiée… La fameuse ‘zone grise’ sur les retouches qui fait doucement rigoler…
Ajoutons à cela la facilité et la simplicité des appareils d’entrée et de moyenne gamme, proposant des ‘modes’ qui empêchent quasiment tout ratage, qui appliquent d’office des filtres de toutes sortes pour améliorer le rendu final, qui proposent des options gadgets à la pelle… C’est encore pire sur les compacts et les bridges…
Et que dire de la montée en puissance, et en qualité, des smartphones qui, à grand renfort d’applications, de filtres et de réseaux sociaux, permettent à absolument tout le monde de se prendre pour Cartier-Bresson ? (Encore que, je ne suis pas sur qu’il ait approuvé selfies et duckface)
Heureusement, il y a tout de même des photographes qui font du numériques avec une certaine éthique, qui essayent de rester honnêtes et sérieux. Mais soyons réaliste, pour la plupart, ce n’est pas le cas.
Alors à une époque où des bidouilleurs sur Lightroom et Photoshop se prétendent photographes (où des gens qui usent et abusent d’Auto-Tune se prétendent chanteurs), je préfère rester un has-been en dehors du coup avec ses vieux appareils, et faire quelque chose que je trouve plus authentique…
D’un point de vue plus artistique et plus personnel, il y a aussi quelque chose qui me chagrine vraiment avec les retouches numériques : toutes les photos se ressemblent !
Sérieusement, allez faire un tour sur les galeries de 500px, Lightroom CC, Flickr, Imgur, etc, et vous verrez que plus on s’y attarde, moins on voit de différences entre les travaux de photographes pourtant tous différents.
À croire que les modèles de retouches sont tellement immuables qu’ils ont fini par normaliser ce qui devrait être un Art, original et propre à chacun…
Attention, je ne dis pas que c’est une vérité absolue et que ça touche la totalité des photographes numériques de la planète, heureusement qu’il en reste certains qui ont su demeurer originaux et qui ont véritablement leur style…
Mais quand je vois, par exemple, la galerie éditoriale de 500px, je trouve ça quand même assez effrayant de voir tant de similarités…
Pour ces différentes raisons, et par soucis d’honnêteté (envers moi-même déjà), toutes les photos montrées ici sont ‘brutes’. Pas d’améliorations au scan, pas de post-traitement, pas même le plus basique ou le plus ‘habituel’ (courbes des couleurs, dodge & burn, etc)…
Bien entendu, il y a l’image d’en-tête et l’avatar qui sont passés sous Photoshop vu qu’il fallait au moins y mettre du texte. On a même quelques photos numériques dans la partie “making of”, et… c’est tout.
Je scanne avec SilverFast où je me contente de choisir le film dans NegaFix quand il s’agit de négatif -il serait idiot de vouloir tricher avec un positif-, de régler l’exposition, et d’éliminer les poussières quand elles sont trop nombreuses… De ce fait, ce que vous verrez ici sera le ‘pire’ rendu possible pour mes clichés… Et j’en suis assez fier.
Du coup, je vous laisse également imaginer ce que mes négatifs peuvent donner si j’en fais des tirages à l’agrandisseur, ou si je les traite pour des impressions…
Merci à vous d’avoir pris le temps de me lire jusqu’au bout afin de mieux comprendre ma démarche et de mieux cerner mes intentions 😉
P.S : Quelques réflexions sur le numérique :
« La Photographie numérique ne sera jamais la ‘Photographie’ telle qu’on la connait. Je pense que la Photographie sera toujours ‘chimique' ».
– Annie Leibovitz (photographe de renommée mondiale)
« À l’exception du photo-journalisme, il n’y aura plus de ‘photographie pure’ ; toute photographie va devenir un amalgame, une interprétation, une amélioration ou une variation – soit par le photographe en tant qu’auteur, soit par l’appareil photo lui-même. »
– Mark Levoy (professeur spécialisé en traitement numerique d’image à Stanford)
« La définition de la Photographie digitale est en constante évolution, mais j’aime à y penser comme un changement d’utilisation de l’appareil photo, d’un dispositif à prendre des photos qui devient un dispositif à collecter des données. »
– Kevin Connor (auteur du rapport de Novembre 2014 sur la manipulation de l’image numérique pour le compte de World Press Photo)